Depuis des décennies, les Campi Flegrei sont au centre de l'attention des volcanologues et de la population locale en raison des fréquents épisodes de bradyséisme, ces lents mouvements du sol qui témoignent de l'agitation du sous-sol volcanique. Mais aujourd’hui, la situation semble s’aggraver et laisse place à des appréhensions et à des déductions qui n’aident pas. Que se cache-t-il réellement dans les entrailles de ce géant ? Quels sont les mécanismes qui régissent son comportement ?
Dans une nouvelle étude, une équipe de chercheurs italiens a tenté de répondre à ces questions en utilisant une technique de pointe qui fournit des images haute résolution de la structure interne de la caldeira permettant de suivre son évolution au fil du temps.
Les résultats, publiés dans Earth and Planetary Science Letters (je vais les relier ici), révèlent un système magmatique complexe et évolutif, avec trois réservoirs de magma à différentes profondeurs et des mouvements fluides qui peuvent être les signes avant-coureurs d’une crise future.
Une fenêtre sur la caldeira
L'étude, menée par une équipe de chercheurs de l'Institut national de géophysique et de volcanologie (INGV) et de l'Université de Milan Bicocca, a utilisé une technique appelée Tomographie sismique non linéaire 4D. En termes simples, il s'agit d'une méthode qui utilise les ondes sismiques générées par les tremblements de terre pour « éclairer » l'intérieur de la Terre, un peu comme un scanner médical utilise les rayons X pour visualiser l'intérieur du corps humain.
L'innovation de cette étude réside dans le fait d'avoir appliqué une algorithme non linéaire et transdimensionnel, ce qui nous permet d'obtenir des images plus détaillées et fidèles de la structure interne de la caldeira, dépassant les limites des méthodes traditionnelles. De plus, la dimension temporelle (c'est pourquoi on l'appelle 4D) nous permet de suivre l'évolution du système au fil du temps, en identifiant même des changements mineurs mais potentiellement significatifs.
Le résultat est une véritable « carte » du sous-sol des Campi Flegrei, qui, comme mentionné révèle pour la première fois l'existence de trois réservoirs magmatiques principaux : deux plus superficiels, d'environ 2 à 4 km de profondeur, et un plus profond, d'environ 5 km. Nous allons jeter un coup d'oeil.
Campi Flegrei, trois réservoirs magmatiques en évolution
Le premier char de surface (appelé « A » dans l’étude) se situe entre 2 et 2,5 km de profondeur, juste en dessous du centre de la caldeira. Elle se caractérise par de faibles vitesses d’ondes sismiques (indiquant des roches chaudes et/ou partiellement en fusion) et une augmentation progressive du rapport entre les vitesses des ondes P et S entre 1984 et 2019. Selon les chercheurs, cela pourrait indiquer un processus de refroidissement et de dégazage du magma, peut-être ayant commencé après la crise bradysismique de 1982-84.
Le deuxième réservoir de surface (« B ») il est légèrement plus profond, entre 3,5 et 4 km. Il montre également de faibles vitesses sismiques, mais contrairement au premier, ici le rapport Vp/Vs a diminué avec le temps. Cela suggère un possible processus de recharge par des fluides magmatiques, qui s'est produit pendant la phase de troubles actuelle qui a débuté en 2005.
Mais la découverte la plus surprenante concerne peut-être le réservoir profond (« C »), détecté à environ 5 km de profondeur. Cette zone est caractérisée par des vitesses d'ondes P très faibles et des rapports Vp/Vs très élevés, compatibles avec la présence de magma. De plus, la forme et l’emplacement de cette anomalie ont changé au fil du temps. Après avoir quasiment disparu entre 1984 et 2019, elle réapparaît à partir d'avril 2019, plus superficielle et avec une forte augmentation du rapport Vp/Vs. Un signal, selon les auteurs, d'une possible nouvelle injection de magma venant de sources encore plus profondes.
Qu'est-ce que tout cela signifie?
Les résultats apportent un nouvel éclairage sur les mécanismes qui régissent l'évolution de la caldeira des Campi Flegrei. Un système complexe et dynamique dans lequel magma et fluides interagissent à différentes échelles spatiales et temporelles. La découverte de trois réservoirs magmatiques à différentes profondeurs, et surtout la preuve de mouvements magmatiques au cours de la dernière période, constituent une avancée cruciale.
Bien entendu, nous sommes encore loin de pouvoir prédire avec certitude si et quand les Campi Flegrei se réveilleront sérieusement, avec de fortes tremblements de terre voire des éruptions. Des études comme celle-ci nous fournissent cependant des outils de plus en plus précis pour suivre l’évolution du système en temps réel, identifier les signaux précurseurs et évaluer le niveau de risque.
Dans une zone densément peuplée comme celle des Phlégréens (nous sommes plus d’un demi-million d’habitants), disposer d’informations détaillées et mises à jour est essentiel pour planifier des stratégies d’atténuation et de gestion des urgences. Et la tomographie sismique 4D est susceptible de devenir l’un des outils les plus précieux dans ce sens.
Campi Flegrei, vers l'avenir : les défis de vivre avec un volcan actif
L'étude de l'INGV et de l'Université de Milan Bicocca confirme que les Campi Flegrei sont un système vivant et évolutif. Le défi consiste désormais à traduire ces connaissances en actions concrètes pour réduire le risque volcanique. Cela signifie renforcer le contrôle, mais aussi investir dans l’éducation et la préparation de la population, dans l’aménagement du territoire, dans le développement d’infrastructures résilientes.
Parce que vivre avec un volcan actif n’est pas impossible, nous l’avons toujours fait (non sans une certaine folie) : mais cela demande une conscience, une responsabilité et une attention constante aux signaux que nous envoie la Terre. Avec respect, prudence, mais aussi avec confiance dans la recherche et dans notre capacité à relever les plus grands défis.