Le temps nous a appris que les états de la matière que nous connaissons depuis le lycée (solide, liquide, gaz et plasma) ne sont que la pointe de l’iceberg. Dans les profondeurs de la physique quantique et des matériaux magnétiques se trouvent des phases exotiques qui pourraient révolutionner les technologies du futur. C'est le cas de la récente découverte des physiciens Weiguo Yin e Alexeï Tsvelik de Laboratoire national de Brookhaven, qui a identifié une nouvelle phase dans un ferrimagnétique unidimensionnel : un état appelé « moitié glace, moitié feu ».
Cette configuration extraordinaire consiste en un motif de spins électroniques dans lequel des États hautement ordonnés coexistent (froid comme la glace) et très désordonné (chaud comme le feu). L'histoire de cette découverte, publié dans la prestigieuse revue Physical Review Letters, s'appuie sur plus d'une décennie de recherche et représente un élément fondamental dans la compréhension des matériaux magnétiques.
Un petit retour en arrière : qu'est-ce qu'un ferrimagnétique en quelques mots (et espérons-le simples).
Imaginez une équipe de tir à la corde où 5 personnes tirent d’un côté et 3 de l’autre. La corde se déplacera vers le côté où il y a plus de monde, mais il y aura toujours de la tension des deux côtés. Le ferrimagnétique est comme cette corde, il a un magnétisme « net » même si les forces magnétiques internes se « contrecarrent » un peu.
En bref : un ferrimagnétique c'est un matériau qui, au niveau microscopique, possède des atomes avec des moments magnétiques alignés dans des directions opposées, ma les moments dans une direction sont plus forts que dans l'autre.
Un voyage qui a commencé il y a dix ans
La découverte de cette nouvelle phase de la matière n’est pas tombée du ciel. Le voyage a commencé en 2012, lorsque Yin et Tsvelik faisaient partie d'une collaboration multi-institutionnelle dirigée par le physicien John Hill du laboratoire de Brookhaven. Le groupe étudiait un composé magnétique appelé Sr3CuIrO6 (un matériau à base de strontium, de cuivre, d'iridium et d'oxygène). Ces travaux ont également donné lieu à deux publications dans Physical Review Letters, l’une axée sur l’expérimentation en 2012 et l’autre axée sur la théorie en 2013.
Malgré leurs recherches approfondies, il manquait encore quelque chose. Comme le souligne Tsvelik,
« Même après nos recherches approfondies, nous ne savions toujours pas comment cet État pouvait être utilisé. »
Le modèle mathématique d’Ising, qui produisait l’état « mi-feu, mi-glace », était connu depuis un siècle pour ne pas prendre en compte les transitions de phase à température finie. Il manquait des pièces clés du puzzle.
Yin a récemment identifié un indice sur les pièces manquantes. Dans deux publications, il a démontré que la transition de phase « interdite » pouvait être approchée par un phénomène de croisement ultra-étroit à température finie fixe.
En des termes encore plus simples ? Yin a découvert que même si une transformation semble impossible, on peut « tromper » le système pour qu’elle se produise d’une manière très spécifique et contrôlée, à une certaine température. C'est comme trouver un passage secret du point A au point B, même si la route directe est bloquée.

Quand la glace et le feu échangent leurs places
Dans leurs recherches actuelles, Yin et Tsvelik ont découvert que « moitié feu, moitié glace » possède un état caché et opposé dans lequel les spins chaud et froid échangent leurs positions. En d’autres termes, les spins chauds deviennent froids et les spins froids deviennent chauds.
Le modèle révèle que la transition entre les phases se produit sur une plage de température extrêmement étroite, et les chercheurs ont déjà suggéré d’éventuelles applications futures. Par exemple, ce phénomène de commutation ultra-précise avec un changement gigantesque de l’entropie magnétique pourrait être utile pour les technologies de réfrigération. En outre, cela pourrait constituer la base d’un nouveau type de technologie de stockage d’informations quantiques dans laquelle les phases agissent comme des bits.
Ferrimagnétique et phase « mi-glace, mi-feu » : implications et perspectives d'avenir
La découverte de cette nouvelle phase de la matière est significative. Non seulement parce qu’il n’a jamais été observé auparavant, mais aussi parce qu’il est capable de provoquer une commutation de phase extrêmement rapide dans le matériau à une température raisonnable et finie.
« Trouver de nouveaux états dotés de propriétés physiques exotiques et être capable de comprendre et de contrôler les transitions entre ces états sont des problèmes centraux dans les domaines de la physique de la matière condensée et de la science des matériaux », a déclaré Yin.
« La résolution de ces problèmes pourrait conduire à des avancées majeures dans des technologies telles que l’informatique quantique et la spintronique. »
Tsvelik a ajouté :
« Nous suggérons que nos découvertes pourraient ouvrir une nouvelle voie à la compréhension et au contrôle des phases et des transitions de phase dans certains matériaux. »
La prochaine étape pour les chercheurs sera d’explorer le phénomène « feu-glace » dans des systèmes dotés de spins quantiques et de degrés de liberté supplémentaires en termes de réseau, de charge et d’orbite. Comme il l'a déclaré Yin« La porte vers de nouvelles possibilités est désormais grande ouverte. »
Ce qui me frappe, c’est à quel point cette découverte représente l’exemple parfait de la façon dont la recherche fondamentale peut être surprenante et imprévisible. Ce qui a commencé comme l’étude d’un simple modèle unidimensionnel a révélé une phénomène physique entièrement nouveau, avec des applications potentielles allant des technologies énergétiques à l’informatique quantique.
Parfois, c’est précisément dans les systèmes les plus simples que se cachent les complexités les plus fascinantes de la nature.