Les dinosaures ont régné sur la Terre pendant 165 millions d'années, mais il ne reste d'eux que des os et des empreintes de pas. Et nous? Eh bien, nous, les humains, malgré notre bref séjour dans l’Anthropocène, laisserons une trace beaucoup plus évidente et durable : les « technofossiles ». Des smartphones aux soutiens-gorge en polyester, des éoliennes aux systèmes de métro souterrains. Des objets qui, s’ils étaient enterrés au bon endroit, pourraient survivre jusqu’à ce que le Soleil engloutisse la Terre.

C'est la thèse fascinante et dérangeante de Sarah Gabbott e Jan Zalasiewicz, deux professeurs de l'Université de Leicester qui viennent de publier un livre (« Rejeté : comment les technofossiles seront notre héritage ultime ») sur cet héritage géologique involontaire qui est le nôtre. Un héritage qui en dit autant sur nos réussites que sur nos excès.
Le premier signe durable de l'Anthropocène : des technofossiles plus résistants que le bois

Il y a des objets que nous créons dans l’Anthropocène qui démontrent une résistance au temps vraiment étonnante. Prenons l’exemple des polymères de type plastique : Certaines algues vertes créent des composés presque identiques au polyéthylène, et nous les trouvons dans des roches vieilles de 48 millions d’années essentiellement intactes. Un téléphone portable, s'il est enterré rapidement dans un environnement approprié (comme une décharge avec des doublures en plastique), a de bonnes chances de se fossiliser.
Cela me fait sourire de penser que mon vieil homme Nokia il pourrait être étudié par un paléontologue du futur comme nous étudions une ammonite aujourd'hui. Avec une différence majeure : alors que les fossiles biologiques racontent des histoires d’adaptation évolutive, nos technofossiles de l’Anthropocène Ils raconteront une histoire d’accumulation compulsive, de surproduction, de remplacement continu d’objets non pas par nécessité mais par consumérisme effréné.
Nous fabriquons des choses qui seront plus durables que celles fabriquées par la biologie. Selon ce raisonnement, ils dureront probablement longtemps.
Le deuxième signe : des puzzles rectangulaires en silicone

Un aspect particulièrement intrigant de l’Anthropocène sera l’interprétation que les futurs paléontologues donneront à nos objets. Comme l’observe Gabbott, nos smartphones sont essentiellement des rectangles indéchiffrables : que comprendront-ils ? La complexité de ces objets n’a pas d’équivalent dans le monde biologique, et les données numériques qu’ils contiennent seront probablement impossibles à décoder.
Encore une ironie : la société qui a produit la plus grande quantité d’informations dans l’histoire de l’humanité risque d’être celle qui en laisse le moins sous une forme compréhensible. Nos stockages cloud, même s’ils survivaient physiquement, seraient des boîtes noires impénétrables. Il me vient à l’esprit qu’un livre imprimé (peut-être celui de Gabbott et Zalasiewicz, que je vous recommande de lire) pourrait être plus utile pour comprendre qui nous étions que n’importe quel disque dur.
Ces appareils ne sont que des rectangles. Ils demanderont : qu'est-ce que c'est ? Je n’avais pas réalisé à quel point nos données numériques pouvaient être éphémères.
Le troisième signe : des merveilles souterraines monumentales

Le troisième grand signe de l’Anthropocène sera des structures géantes et surréalistes. Zalasiewicz décrit des éoliennes hors service, longues comme des terrains de football, coupées en morceaux et empilées les unes à côté des autres. Un motif qui, fossilisé, apparaîtra sur une future falaise comme un hiéroglyphe incompréhensible. Et puis il y a les parties souterraines de nos villes : les métros, les canalisations, les câbles électriques. Imaginez la silhouette souterraine d’Amsterdam ou de la Nouvelle-Orléans se dessinant sur la paroi d’un canyon.
Je trouve fascinante cette vision presque lovecraftienne de ruines futuristes fossilisées. Nos plus grandes prouesses d’ingénierie réduites à de curieux fossiles dans des couches rocheuses, étudiés par des civilisations qui ne comprendront peut-être jamais vraiment ce qu’ils étaient. Pourtant, comme le note à juste titre Zalasiewicz, il existe un lien inquiétant entre ce futur lointain et notre présent problématique : nos décharges, nos déchets cachés sous terre, ne disparaissent pas comme par magie, mais deviennent des fossiles toxiques potentiels qui pourraient revenir à la surface après des dizaines de millions d’années.
Quand on pense aux parties d’une ville qui vont être préservées, ce sont toutes les parties souterraines : le métro, l’électricité, les égouts.
Anthropocène : que restera-t-il ?
La conclusion que je tire de ce discours sur l’Anthropocène ? Nous créons un héritage géologique sans précédent dans l’histoire de la planète, une empreinte qui en dira beaucoup plus sur nous que n’importe laquelle de nos réalisations culturelles. Et ce qu’il racontera, comme l’admet Gabbott, c’est l’histoire d’« une espèce qui a produit des choses en quantités énormes, consommant des ressources sans en connaître les conséquences en aval ».
Une « rivière à cuillères » d’une incroyable complexité. Une épitaphe géologique qui devrait peut-être nous faire réfléchir plus souvent à la question cruciale : avons-nous vraiment besoin d’une autre paire de lunettes de soleil ? Ou un autre téléphone portable ? Car, contrairement à ce que l’on pense, ces choses ne disparaîtront jamais vraiment. Nous oui, eux non.