Imaginez la scène : le juge appelle le témoin, les écrans s’allument et le visage d’un homme décédé quatre ans plus tôt apparaît. Il enfile sa casquette grise, sa barbe rousse taillée, et commence à parler de la voix dont la famille se souvient parfaitement. « Bonjour, je suis une version de Chris créée par l’IA », dit-il à la salle d’audience médusée. C’est le premier témoignage d’une personne décédée rendu possible grâce à la technologie deepfake. Et cela déclenche un tremblement de terre éthique.
L'affaire qui a changé l'histoire judiciaire
Christophe Pelkey C'était un vétéran de l'armée américaine de 37 ans, fort de trois missions en Irak et en Afghanistan. Sa vie a été interrompue le 21 novembre 2021 en Arizona, lors de ce qui aurait dû être un banal accident de la route. Gabriel Horcasitas, 54 ans, lui a tiré dessus après une dispute à un feu rouge. Christopher était sorti de la voiture pour clarifier la situation : il n'est jamais remonté.
Le mois dernier, lors de l’audience de détermination de la peine de Horcasitas, quelque chose d’étrange s’est produit. jamais vu avant dans l'histoire des tribunaux. Stacey Wales, la sœur de Christopher, avec son mari Tim Wales et à son ami Scott Yentzer, a présenté une vidéo qui a laissé la salle sans voix.
Ce n’était pas un simple film souvenir, mais un avatar créé avec l’intelligence artificielle qui reproduisait parfaitement l’apparence et la voix du frère disparu.
La technologie derrière l'avatar
L'avatar de Christopher a été créé en utilisant Diffusion stable, l'une des plateformes d'intelligence artificielle les plus avancées pour la génération d'images. La famille possède alimenté le système avec des centaines de photos, de vidéos et d'enregistrements audio, y compris une interview donnée par Christopher quelques mois avant sa mort. Le résultat était un deepfake de qualité cinématographique : chaque expression faciale, chaque inflexion vocale reproduisait fidèlement les traits du vétéran.
« Nous avons recueilli les témoignages de tous ceux qui l'ont connu », explique Stacey Wales. « De son institutrice à ses camarades soldats en Afghanistan. Nous voulions être sûrs que les propos de Christopher reflètent fidèlement sa personnalité. »
Le « scénario » a été écrit par sa sœur, mais chaque mot a été conçu pour refléter la personnalité d’un homme décrit comme « le genre de personne qui enlèverait sa chemise et vous la donnerait si vous en aviez besoin ».
Les mots qui ont ému la cour
L'avatar de Christopher s'adressa directement à son meurtrier avec des mots qui ébranlèrent toute la salle d'audience : « Dans une autre vie, nous aurions peut-être pu être amis. Je crois au pardon. En un Dieu qui pardonne. » Le message se concluait par une salutation qui toucha tout le monde dans la salle : « Je vais pêcher. Je vous aime tous. À bientôt de l'autre côté. »
Le juge Todd Lang il n'a pas caché son émotion : « J'ai adoré cette IA », a-t-il déclaré lors de la condamnation. « Même si la famille était légitimement en colère et réclamait la peine maximale, il a permis à Chris de s'exprimer avec son cœur, tel qu'ils le voyaient. Je ne l'ai pas entendu réclamer la peine maximale. »
Lang a ensuite condamné Horcasitas à dix ans et demi de prison, la peine maximale pour homicide involontaire. Finalement, cette vidéo n'a peut-être pas satisfait la soif de justice de la famille. Mais le problème, vous l’imaginez, n’est pas là..
Le débat éthique qui divise les experts
Le témoignage devant le tribunal a suscité une controverse qui va bien au-delà du cas spécifique. Derek Vie, professeur d'éthique des affaires à Carnegie Mellon University et auteur de « Ethics for Robots », a exprimé fortes perplexités concernant cette affaire :
Je ne remets pas en question les intentions de cette famille, mais je crains que tout le monde n'utilise pas correctement l'IA. Si d'autres familles créent des avatars, seront-elles toujours fidèles aux souhaits de la victime ?
Cette question touche à l'un des points sensibles de l'ère numérique : le consentement posthume. Comment être sûr que les paroles prononcées par l'avatar reflètent bien celles qu'aurait dites Christopher ? Et surtout, qui a le pouvoir de décider ce qu'une personne décédée peut ou ne peut pas dire ?
Un précédent qui fait réfléchir
Comment Je t'écrivais iciL'utilisation de l'intelligence artificielle pour recréer les défunts n'est pas une nouveauté absolue. Les « thanabots » (chatbots des morts) existent depuis un certain temps, généralement à des fins récréatives. Je vous ai récemment parlé, par exemple, des cours d'écriture dispensés « directement », pour ainsi dire, par la grande écrivaine Agatha Christie. « ressuscité » par l’intelligence artificielle. Mais l'affaire Pelkey marque un saut qualitatif : pour la première fois, un avatar numérique a directement influencé une décision judiciaire dans un tribunal.
Et maintenant c'est une tempête. Le Conférence judiciaire Le ministère de la Justice des États-Unis a déjà annoncé qu’il lancerait une consultation publique pour réglementer l’utilisation des preuves générées par l’intelligence artificielle dans les procédures. Gary Marchant, professeur de droit à Arizona State University, prévient :
Les procureurs et les avocats craignent vivement que les deepfakes soient de plus en plus utilisés. Ils sont faciles à créer et n'importe qui peut le faire avec un téléphone.
« Témoins IA » au tribunal : l'avenir de la justice numérique
L'affaire Christopher Pelkey n'est pas un incident isolé. Elle marque le début d'une nouvelle ère où la technologie redéfinit les frontières entre la vie et la mort, la mémoire et la manipulation. Comme le démontrent plusieurs étudesLes deepfakes sont considérés par les experts comme l’une des principales menaces posées par l’intelligence artificielle, précisément en raison de leur capacité à éroder la confiance dans les preuves audiovisuelles.
Alors que la famille Wales estime avoir donné à Christopher l'occasion d'exprimer son dernier message, la communauté scientifique et juridique s'interroge sur les risques d'une technologie qui pourrait transformer les tribunaux en théâtres d'émotions plutôt qu'en lieux de justice. La voix de Christopher, réelle ou reconstituée, a certes laissé des traces. Mais elle a aussi soulevé des questions auxquelles la société devra bientôt faire face : dans quelle mesure sommes-nous prêts à laisser l'intelligence artificielle parler pour nous ? même après la mort ?
La réponse déterminera non seulement l’avenir des tribunaux, mais aussi la manière dont nous envisageons l’identité humaine à l’ère numérique.