L'intestin n'est pas un simple tube passif. Il se contracte, se relâche et propulse les aliments vers l'avant selon un rythme apparemment parfaitement orchestré. Mais comment coordonne-t-il la digestion ? Une équipe de l'Université de Californie à San Diego Il a découvert que chaque tube digestif est un oscillateur possédant sa propre fréquence. Lorsque les fréquences sont similaires, elles s'enchaînent successivement, comme des marches. Cet effet d'escalier permet aux aliments de se déplacer dans une seule direction et d'être mélangés correctement.
J'étudie, publié sur Arxiv, commence dans le cerveau mais se termine dans l'intestin pour répondre à une question aussi vieille que l'humanité : comment les systèmes biologiques se synchronisent-ils ?
Quand les horloges se parlent
La synchronisation est omniprésente dans la nature. Deux horloges de parquet accrochées côte à côte sonnent à l'unisson. Les lucioles clignotent de concert. Dans le cerveau, les vaisseaux sanguins se dilatent et se contractent de façon coordonnée pour acheminer l'oxygène là où il est nécessaire. David Kleinfeld, physicien et neurobiologiste de laUC San DiegoIl avait remarqué que lorsqu'il appliquait un stimulus externe à un neurone, tout le réseau vasculaire se synchronisait sur la même fréquence. Mais lorsqu'il stimulait deux groupes de neurones à des fréquences différentes, un phénomène inattendu se produisait : certains vaisseaux se synchronisaient sur une fréquence, d'autres sur une autre. Des structures en escalier se formaient.
Pour comprendre ce phénomène, Kleinfeld a cherché un système plus simple que le réseau complexe du cerveau. L'intestin s'est révélé être le candidat idéalLe transit est unidirectionnel, avec un gradient de fréquence allant de la partie supérieure (intestin grêle) à la partie inférieure (côlon). C'est précisément ce gradient qui explique que les aliments ne progressent que dans un seul sens, du début à la fin du tube digestif.
Péristaltisme, les mathématiques de la digestion
Avec mon collègue Massimo Vergassola, un expert en physique des systèmes vivants, et aux chercheurs Marie Sellier-Prono e Massimo CenciniL'équipe a développé un modèle mathématique d'oscillateurs couplés appliqué à l'intestin. péristaltisme intestinalCe mouvement ondulatoire que nous connaissons tous est généré par des contractions rythmiques des muscles.
Chaque segment de l'intestin oscille à sa propre fréquence, mais pas de manière isolée : il communique avec les segments voisins.
Comme l'explique Vergassola :
« Les oscillateurs couplés communiquent entre eux. Chaque segment de l'intestin est un oscillateur qui interagit avec les segments voisins. Normalement, on les étudie dans des conditions homogènes, avec des fréquences similaires. Dans notre cas, les fréquences étaient plus variées, tout comme dans l'intestin et le cerveau. »
Le point clé est leeffet d'escalierLorsque les fréquences sont suffisamment proches, elles s'imbriquent, formant des paliers : un groupe de segments intestinaux oscille à la même fréquence, puis il y a une discontinuité, et un autre groupe oscille à une fréquence légèrement différente. Ces paliers se succèdent du début à la fin de l'intestin, créant un flux unidirectionnel.
Deux questions, une seule réponse
Avant cette étude, on savait qu'un effet d'escalier se produisait dans l'intestin. Des recherches antérieures avaient observé que des fréquences similaires se synchronisaient, permettant ainsi le mouvement rythmique des aliments. Cependant, trois aspects essentiels restaient sans réponse : la hauteur des paliers, la longueur des segments synchronisés et les conditions précises dans lesquelles ce phénomène se produit. Le nouveau modèle mathématique résout tout d'un seul coup..
« Le problème mathématique avait été résolu approximativement, mais pas de manière à expliquer les étapes et ce qui se passe aux points de rupture. C'est une découverte capitale », a déclaré Kleinfeld.
Cette solution répond simultanément à deux questions biologiques fondamentales : comment les aliments progressent dans le tube digestif et comment ils sont mélangés durant ce processus. Le mélange est essentiel à la digestion : il permet aux enzymes d’atteindre toutes les molécules alimentaires et à la muqueuse intestinale d’absorber efficacement les nutriments.
Des troubles digestifs au cerveau
L'équipe espère que ces travaux soutiendront des recherches ultérieures sur troubles de la motilité gastro-intestinaleLes pathologies liées à une altération du péristaltisme peuvent survenir. En cas de dysfonctionnement du gradient de fréquence, des problèmes tels que la constipation chronique, le syndrome de l'intestin irritable ou, dans les cas plus graves, une pseudo-obstruction intestinale peuvent apparaître. Comme nous l’avons signalé dans le passéComprendre les mécanismes fondamentaux des systèmes biologiques ouvre la voie à des interventions plus ciblées.
L'objectif suivant ? Retour au cerveau. Si l'intestin est unidirectionnel et suit un gradient simple, le système vasculaire cérébral, lui, présente des centaines de directions différentes. Les voies neuronales empruntent de multiples trajets de longueurs variables, simultanément. « Le cerveau est infiniment plus complexe que l'intestin, mais c'est là que la science atteint son apogée », conclut Kleinfeld.
« Vous posez une question, cela vous amène ailleurs, vous résolvez ce problème, puis vous revenez à la question initiale. »
L'étude a été financée par Initiative BRAIN des Instituts nationaux de la santé Ce projet réunit des chercheurs des États-Unis, de France et d'Italie. Les travaux portent sur la physique théorique, la biologie appliquée et les mathématiques des oscillateurs.
Le genre de recherche qui semble abstraite jusqu'à ce qu'on se rappelle qu'on parle du fonctionnement de notre digestion au quotidien.