Paris, printemps 1900. Un homme, coiffé d'un chapeau melon et s'appuyant sur une canne, monte sur une plateforme en bois longeant la Seine. Il ne marche pas. Il reste immobile, le tapis roulant sous ses pieds le propulsant à 4 kilomètres par heure. Puis il emprunte une seconde voie, plus rapide : 9 km/h. Ni moteur à combustion, ni roues. Juste un tapis roulant, un tapis continu qui transporte chaque jour des milliers de personnes sans qu'elles aient à lever le petit doigt.
Thomas EdisonEn visitant l'Exposition universelle, il pointe son appareil photo vers cette chose impossible et l'immortalise. trottoir roulantLe tapis roulant fonctionne. Et il fonctionne si bien qu'il pourrait révolutionner nos déplacements en ville. Attention, divulgation : ce ne sera pas le cas. Ou plutôt, il faudra 125 ans avant qu'il ne redevienne (peut-être) utile.
Trottoirs roulants : quand Paris a inventé le futur (avant de le démanteler)
L'Exposition universelle de 1900 Elle nourrissait un objectif ambitieux : montrer au monde les progrès du siècle qui venait de s’achever. Plus de 50 millions de visiteurs Ils étaient venus à Paris pour voir l'électricité, le cinéma et la première ligne de métro. Mais la véritable vedette du spectacle était… trottoir roulantUne piste de 3,5 kilomètres, alimentée par des véhicules électriques, longeait le parc des expositions. Trois voies se chevauchant (une à l'arrêt pour l'embarquement, une à 4 km/h et une à 9 km/h) pouvaient transporter jusqu'à 14 000 personnes simultanément. Ce système était électrique, silencieux et non polluant.
Le système était simple : on se plaçait sur la première voie à l'arrêt, puis sur la deuxième voie lente, et enfin sur la troisième voie rapide. Un peu comme lorsqu'on change de voie sur l'autoroute, mais sans avoir à bouger. Les Parisiens l'ont adoré. Edison l'a filmé. Les journaux de l'époque l'ont appelé ainsi. « la route vers l’avenir »Puis la fête foraine prit fin. Et quelqu'un décida qu'il valait mieux tout démonter et reprendre la marche.
Ce n'était même pas la première fois
Paris avait copié l'idée de Chicago. En 1893, l'Exposition universelle de Christophe Colomb Il avait inauguré le premier trottoir roulant de l'histoire : 84 mètres le long de la jetée, avec une pente de 10 % et une vitesse de 2,4 km/h. Il coûtait cinq centimes. Et il tombait souvent en panne. Les Parisiens ont tout amélioré : Longueur, vitesse, fiabilité. Mais ils ont ensuite commis la même erreur : ils l'ont démantelé.
Depuis plus d'un siècle, les tapis roulants sont cantonnés aux aéroports et aux centres commerciaux. Ces voies de 50 centimètres par seconde servent uniquement à acheminer les passagers jusqu'à leur porte d'embarquement sans trop d'efforts. Utiles, certes, mais loin de l'avenir des transports urbains imaginé en 1900.
Entre-temps, les villes se sont remplies de voitures, de bus et de métros. Nous avons creusé des tunnels, construit des viaducs et asphalté toutes les surfaces. Et nous avons oublié qu'il existait une solution plus simple : faire avancer les trottoirs plutôt que les piétons.
Le retour (avec des chiffres impressionnants)
Mais aujourd'hui, les tapis roulants font leur grand retour. Et cette fois-ci, avec des données à l'appui. Une étude 2017 de l'École polytechnique fédérale de Lausanne avait déjà analysé la faisabilité d'un réseau de trottoirs roulants accélérés (AMW) dans une ville sans voitures particulières. Les chiffres sont intéressants : Un seul tapis roulant de 1,2 mètre de large peut transporter 7 000 personnes par heure. Une route normale peut transporter entre 750 et 1 800 personnes (en voiture).
Les tapis roulants modernes atteignent une vitesse de 15 km/h, soit la même vitesse que la circulation urbaine moyenne aux heures de pointe. Entièrement électriques, ils occupent moins d'espace qu'une voie de circulation et ne produisent aucune pollution. Leurs coûts d'exploitation sont comparables à ceux d'un bus. Sur le papier, ils sont performants.
Les chercheurs ont simulé un réseau optimal pour Genève : 32 kilomètres de tapis roulants, 47 connexions et 37 intersections avec des ponts ou des passages souterrains. Le résultat ? Un système concurrentiel Comparé aux bus et aux tramways, il est capable de transporter des personnes en continu, sans arrêt ni attente.
Le problème habituel : les coûts
L'installation d'une ligne de trottoirs roulants coûte autant que la construction d'une ligne de tramway. Pour un système standard, on parle de 90 000 € par installation, avec une maintenance trimestrielle. C'est une somme considérable. Et puis, il y a les problèmes pratiques : où les installer dans des villes déjà urbanisées ? Comment gérer les intersections ? Que faire en cas de pluie ou de neige ?
Les simulations fonctionnent bien à Genève, ville plate et compacte. Mais imaginez des trottoirs roulants à Naples, Rome ou Gênes. Les coûts de construction explosent. Les pentes deviennent problématiques. Et pourtant, ils seraient indispensables. infrastructure entièrement nouvelle.
Les trottoirs roulants : sont-ils vraiment nécessaires ou non ?
DépendDans les villes denses et plates où les transports en commun sont déjà saturés, les trottoirs roulants pourraient être une solution, notamment pour les distances moyennes (deux à trois kilomètres) où la marche est relativement fatigante et où prendre la voiture est inutile. Des études montrent que peut réduire les temps de trajet et libérer de l'espace sur la chaussée.
Dans les villes existantes, le problème reste cependant le même : où les installer ? Et qui finance le projet ? C’est pourquoi les trottoirs roulants sont plus efficaces lorsqu’ils sont intégrés aux nouveaux projets d’urbanisme. Dubaï, par exemple, expérimente actuellement cette solution. systèmes de transport modulaires qui incluent les trottoirs roulants dans la planification initiale.
Le marché mondial des tapis roulants devrait atteindre 4,2 milliards de dollars en 2024 et croître de 5 % par an jusqu'en 2034. Cependant, 70 % de ces installations sont situées en intérieur : aéroports, gares et centres commerciaux. Les installations extérieures en milieu urbain restent rares.
Paris avait raison, mais 125 ans trop tôt.
Il trottoir roulant L'automobile du début du XXe siècle était une idée géniale. Elle fonctionnait. Elle était efficace. Mais elle est arrivée trop tôt dans un monde qui n'était pas encore tombé amoureux de l'automobile. Nous avons passé un siècle à construire des villes autour de la voiture. Et maintenant que nous voulons nous en débarrasser, nous découvrons que l'alternative existait déjà.
Les tapis roulants modernes sont plus rapides, plus sûrs et plus efficaces que ceux de Paris. Mais ils souffrent toujours du même problème : leur coût est prohibitif pour les villes déjà construites. Peut-être que dans 125 ans, on dira que nous avions raison, nous aussi, mais trop tôt.
Ou pas. Peut-être que cette fois, une ville aura le courage d'essayer. Et elle découvrira que faire bouger les trottoirs à la place des piétons n'est pas si absurde après tout. Edison l'avait compris en 1900. Nous, on hésite encore.