Neuf personnes sur cent développent des troubles de la voix au cours de leur vie : kystes, polypes et nodules sur les cordes vocales. La chirurgie permet de les retirer, mais le prix à payer est souvent élevé : cicatrices qui rigidifient les tissus, voix rauque à vie. Les hydrogels favoriseraient la cicatrisation, mais les injecter précisément dans la gorge est quasiment impossible.
Mais une solution existe désormais : une bio-imprimante microscopique qui s’insère dans le laryngoscope et dépose le gel directement dans la gorge, à l’endroit précis où il est nécessaire. Au bloc opératoire, en temps réel, sans scalpel supplémentaire.
Un robot de la taille d'une graine de sésame
L'équipe de Université McGill de Montréal a construit ce qu'il appelle le Le plus petit dispositif de bio-impression jamais fabriquéD'un diamètre de deux et sept dixièmes de millimètre, elle est suffisamment fine pour passer dans le canal opérateur d'un laryngoscope standard, celui que les chirurgiens utilisent habituellement pour examiner la gorge. Swen Groen, un ingénieur biomédical qui a dirigé le développement, a travaillé pendant trois ans pour miniaturiser un concept qui semblait impossible.
L'appareil s'appelle MIISB (Bioimprimante in situ minimalement invasiveL'appareil fonctionne comme un éléphant miniature. La tête d'impression est fixée à un « tronc » flexible commandé par des câbles ultrafins. Le chirurgien manœuvre l'ensemble manuellement, positionnant la buse au millimètre près et déposant un hydrogel biocompatible exactement aux endroits où les tissus ont été retirés. Les lignes imprimées ont une épaisseur de 1,2 millimètre et peuvent être superposées pour reconstituer des géométries complexes.
Le marché mondial de la bio-impression 3D atteindra 8,5 milliards de dollars d'ici 2035, selon les projections de Perspectives du marché à venirLe marché des dispositifs destinés aux applications orthopédiques et de médecine régénérative connaît une croissance annuelle de 19 %. La bio-impression pour une utilisation chirurgicale directe, telle que celle développée par McGill, représente l'un des segments les plus prometteurs.
Le problème des cicatrices des cordes vocales
Les cordes vocales sont des structures délicates. Longues d'environ 1,5 centimètre, elles vibrent des milliers de fois par seconde pour produire la voix. Lorsque des kystes ou des polypes se forment, la chirurgie permet de les retirer à l'aide de lasers ou de micro-instruments. Mais la suite est le véritable problème. Entre 5 % et 18 % des patients développent fibrose postopératoire: tissu cicatriciel qui rigidifie les cordes vocales et altère la capacité à parler normalement.
Comme je vous l'ai écrit il y a quelque temps dans un article sur la bio-impression rapideLes hydrogels à base d'acide hyaluronique peuvent prévenir ce problème. Ils fournissent un support souple qui favorise la croissance de tissus sains et réduit l'inflammation. Le problème a toujours été comment Il faut les placer avec précision. Les injections externes, à travers la peau du cou, n'atteignent pas toutes les zones nécessaires et se retrouvent souvent aux mauvais endroits.
Impression en temps réel pendant le fonctionnement
Comme mentionné précédemment, la bio-imprimante de McGill résout le problème en intervenant directement dans le champ opératoire. Le chirurgien réalise l'intervention normalement, le microscope étant suspendu, et retire le tissu endommagé. puis prend le MIISB et reconstruit la géométrie des cordes vocales en imprimant l'hydrogel couche par couche. Le tout sans déplacer le patient, sans obstruer la vue, sans incisions supplémentaires.
Audrey Sedal, co-auteur de l'étude, a utilisé une comparaison efficace :
« C'est comme un tuyau d'arrosage. Si vous avez déjà vu ce qui se passe quand on ouvre le robinet d'un tuyau, vous savez que le jet d'eau se met à bouger de façon imprévisible. Cet appareil, en revanche, se comporte de façon prévisible. »
Le secret réside dans le modèle cinématique qui traduit les instructions du chirurgien en mouvements coordonnés des câbles. Un algorithme compense la flexibilité inhérente au système et garantit que la buse se retrouve toujours à l'endroit prévu.
Des tests effectués sur des modèles anatomiques utilisés pour la formation chirurgicale ont montré que le dispositif est capable de reconstruire les cavités laissées par des blessures, combler les défauts partiels et même recréer une corde vocale entière manquante.La précision de positionnement est de l'ordre du dixième de millimètre. Pas mal pour un robot télécommandé manuellement évoluant dans un espace de la largeur d'une pièce de monnaie.
De la salle d'opération au corps humain
Le MIISB est actuellement un prototype préclinique. Il est fonctionnel, mais présente encore des limitations à surmonter. La rigidité de la tête est calibrée pour garantir la sécurité (mieux vaut trop souple que trop rigide), mais cela amplifie les vibrations lors de l'extrusion du gel. Un contrôle plus précis est nécessaireIl y a ensuite la variabilité entre les différentes unités de production : chaque tête d’impression présente des caractéristiques légèrement différentes, ce qui complique la standardisation.
La prochaine étape, explique-t-il. Luc Mongeau Le coordinateur de la recherche, le Dr A.S., teste les hydrogels sur des animaux afin de vérifier l'efficacité de la réparation dans les tissus vivants. Si les résultats sont positifs, des essais cliniques sur l'humain seront menés. « Nous cherchons à rendre ce dispositif utilisable en clinique », a-t-il déclaré. L'équipe travaille également sur une version semi-autonome combinant commande manuelle et conduite autonome.
Des dispositifs similaires existent déjà pour d'autres organes. Des chercheurs ont mis au point bioimprimantes ultrasoniques pour créer des hydrogels dans le côlon et le foie, mais ceux-ci sont trop gros pour la gorge.
La miniaturisation du MIISB ouvre la voie à des interventions sur des tissus encore plus délicats. Ibrahim Özbolat, expert en bio-impression chez Penn State University, a commenté : « C'est la première fois que je vois une bio-imprimante appliquée aux cordes vocales. »
Au-delà des cordes vocales
L'hydrogel utilisé dans le dispositif a été spécifiquement développé par l'équipe de Mongeau pour ce type d'intervention chirurgicale. Sous pression, sa viscosité diminue, ce qui le rend idéal pour passer à travers une canule de 1,2 millimètre. Une fois déposé, il conserve sa forme et favorise la croissance de nouveaux tissus. Ce matériau n'a pas encore été décrit dans la littérature, mais il appartient à une famille de… techniques régénératives qui transforment la phonochirurgie.
La véritable question est de savoir si ce concept peut être étendu à d'autres tissus. Une bio-imprimante insérée par le nez ou la bouche pourrait réparer les lésions du pharynx, du larynx et de la trachée. Grâce à des buses adaptées et à des bio-encres appropriées, il serait possible d'y déposer des cellules vivantes, et non plus seulement des gels. Le chemin vers des organes imprimés in situ est encore long, mais ce dispositif démontre que la miniaturisation extrême deviendra une réalité courante.
Il secteur de la bio-impression médicale Ce marché connaît une croissance annuelle de 13,9 % et devrait dépasser les 4,7 milliards de dollars d'ici 2033. Les fabricants de dispositifs médicaux représentent déjà 47 % de ce marché. Des outils comme le MIISB pourraient accélérer encore cette croissance, en transposant la bio-impression des laboratoires aux blocs opératoires.

Pour l'instant, la plus petite bio-imprimante au monde attend de faire ses preuves sur des tissus vivants. Si elle s'avère efficace, des milliers de personnes pourraient retrouver une élocution normale après une opération des cordes vocales. Et peut-être qu'un jour, on utilisera le même principe pour réparer d'autres organes de l'intérieur. Sans cicatrice, sans rejet, sans attente d'un donneur.
Une simple imprimante qui arrive, fait son travail et repart, laissant derrière elle un tissu neuf à la place de l'ancien.
